Dans leur quête incessante visant l'application des meilleures pratiques de management modernes, les organisations n’échappent pas à l’intérêt grandissant entourant l’influence de la religion sur le monde des affaires. Touchant des sujets aussi variés que la popularité croissante du système bancaire islamique ou les avantages de localiser les activités de l’entreprise au sein d’une communauté religieuse, études et sondages se multiplient sur tous les continents. Le présent blogue vise à informer, faire réfléchir et surtout inviter les lecteurs à faire part de leurs expériences et de leurs connaissances des liens que partagent les communautés religieuses et les entreprises obéissant à la loi du marché.

Facteurs clés de succès en affaires : les communautés Amish

Détrompez-vous. 

Les meilleurs entrepreneurs américains ne sont pas à Manhattan ou à Silicon Valley. Selon Erik Wesner, auteur du livre Success Made Simple: An Inside Look at Why Amish Businesses Thrive, les Américains qui auraient le plus de succès en affaires feraient partie des communautés Amish du pays.

En effet,  95% des entreprises Amish restent en activité pendant au moins cinq ans, comparativement à une moyenne de 50% pour le reste des entreprises américaines [1].
Ainsi, le taux d’échec des entreprises Amish varierait entre 2.6% et 4.2%, selon les études de Donald Kraybill, professeur de sociologie du Elizabethtown College [2]. Pourtant, la majorité des personnes issues de ces communautés termine sa scolarité suite à la huitième année du primaire (deuxième secondaire au Québec) [1]. De plus, étant données leurs valeurs reliées à une vie simple et exemptes de technologies, leurs entreprises ne jouissent d’aucune publicité sur internet ou à la télévision [2]. Quels sont donc les facteurs clés de succès des entreprises Amish qui les rendent aussi performantes?

Avant de déterminer ces facteurs, voyons un portrait descriptif et statistique des communautés Amish américaines.


Qui sont les Amish?

Les communautés Amish, majoritairement basées en Ohio, en Pennsylvanie et en Indiana, sont membres d’une confession chrétienne anabaptiste, originaire de Suisse [3]. Les Anabaptistes différent des Protestants traditionnels dans leur rejet de toute autorité de l'Église. Les Amish croient en l'importance de l'étude individuelle de la Bible et la nécessité de vivre une vie exempte de péchés après le baptême des adultes. Ils accordent une grande importance aux valeurs d’humilité, de la famille, de la communauté et de la séparation d'avec le monde moderne (rejet des technologies; habits nettement conservateurs, etc.) [Idem.].
  • Nombre total d’Amish aux États-Unis en 2013: 281 675 [4];
  • Le comté de Lancaster en Pennsylvanie est l’endroit aux États-Unis où l’on compte la plus grande communauté Amish, soit 32 565 personnes en 2013 [Idem.]; 
  • Chaque district Amish est composé de 20 à 40 familles [Idem.];
  • Le taux de rétention dans les communautés Amish est de 85%. Une fois adulte, les enfants ont donc tendance à rester au sein de la communauté [Idem.];
  • Il existe au moins 9000 propriétaires d’entreprises Amish aux États-Unis. Certains districts sont considérés comme étant très axés sur l’entrepreneuriat [2];
  • Entreprises types gérées par les Amish : Fabrication et vente de meubles, construction d’infrastructures, agriculture, stands de marché, entreprises d’enchères, fabrication et vente de courtepointes, etc. [1];
  • En Indiana, certaines communautés sont devenues spécialistes dans la fabrication et la vente de véhicules récréatifs de luxe. Ces Amish sont reconnus pour leur travail à la main de grande qualité [5]; 
     Facteurs clés de succès des entreprises Amish

    La réussite des Amish en affaires peut s’expliquer par plusieurs facteurs qui résultent de leurs valeurs, de leurs croyances et de leurs forces.
    •  Esprit de coopération : Les entreprises Amish sont très souvent familiales, et chacun des membres de la famille met la main à la pâte. La traction du développement communautaire est aussi due à des valeurs d’entraide et de travail d’équipe [2].
    • Dur labeur : Les Amish se lèvent, pour la plupart, à l’aube, pour travailler à la ferme, ouvrir leurs commerces, etc. Ils sont reconnus comme des gens très travaillants, qui ne lésinent pas sur la qualité de leurs produits [2]. Wesner ajoute « qu’une dose d'inconfort est souvent le stimulant nécessaire à la croissance et pour échapper à la stagnation des modes de pensée et des comportements improductifs » [6].
    • Vision claire et bien formulée : « Une vision claire, sous-tendue par l'intégrité et l'engagement personnel, aide à garder le moral, rester concentré en période de vaches maigres, et garder les pieds sur terre dans les bons moments. Une vision clairement formulée et intériorisée garantit l’intégrité lorsque des questions éthiques se posent » [6].
    •  Intégrité : Les Amish s’en tiennent à ce qu’ils savent faire, soit des produits rustiques, traditionnels, et faits à la main. Ils ne tentent pas d’innover, mais bien de performer dans les domaines qu’ils maîtrisent [2].
    • Bonne réputation : La grande qualité de leurs produits et de leur service à la clientèle personnalisé ont favorisé la bonne réputation dont jouissent les Amish  chez les non-Amish. La majorité des touristes visitant l’Ohio vont visiter les villages Amish et achètent leurs produits réputés [6].
    Ainsi, les valeurs qui sous-tendent le succès des entreprises Amish peuvent constituer un modèle pour les organisations traditionnelles. Les facteurs mentionnés précédemment ont tendance à être ignorés ou pris pour acquis par les entrepreneurs non-Amish. La durabilité, le souci de la qualité, la cohésion sociale et l’intégrité, au sein d’un environnement familial : voilà sur quoi repose le succès des entrepreneurs Amish.

    De votre côté, que pensez-vous de ce modèle qui se situe assez loin de l'idée qu'on peut se faire des affaires?

    3 commentaires:

    1. Il s’agit ici d’un billet intéressant qui suscite certains questionnements chez moi dont je vous ai fait part à la fin de ce commentaire.

      Il est important de noter qu’il existe des communautés Amish et Mennonites ailleurs qu’aux États-Unis, entre autres, au Canada (en Ontario entre autres), dans certains pays de l’Amérique Centrale tels que Belize, le Paraguay et la Bolivie. [1] Les Mennonites sont aussi de confession anabaptiste et font souvent des affaires avec les communautés amish vu les ressemblances qu’il y a entre les deux groupes religieux. [2] Les différences principales entre les deux groupes résident dans l’utilisation de la technologie des Mennonites, par exemple, ils utilisent l’électricité, le téléphone et peuvent conduire des voitures. Dans le cas de ces deux communautés, certains groupes ont pris de nouveaux horizons dans les années 1950 afin d’exploiter des terres dans les pays mentionnés ci-haut. De manière générale, leur entrepreneuriat est un vecteur économique pour les pays dans lesquels ils se trouvent puisqu’ils paient des taxes, produisent des produits agricoles et laitiers qui sont revendus aux populations, ainsi que participent à la construction de certaines infrastructures. [3]

      En effet, il est pertinent de prendre en compte les facteurs clés de succès des entreprises Amish que vous décrivez dans votre billet afin de s’en dresser une image. En revanche, j’aimerais ajouter quelques précisions sur les aspects financiers de ces communautés puisque ces aspects font partie intégrante des entreprises, peu importe leur nature. Il arrive souvent que les Amish soient perçus comme étant très aisés. Si c’est le cas pour certaines familles, ce serait un capital en immobilier plutôt que monétaire qu’ils détiennent. [4] D’ailleurs, il faut prendre en compte le fait qu’ils n’ont pas beaucoup de dépenses puisqu’ils produisent la majorité de ce qu’ils mangent et la totalité de ce qu’ils portent et ne font pas ou peu d’activités récréatives pour lesquels ils doivent payer. Alors, comment les Amish construisent-ils leurs entreprises? Ils ont accès à des institutions bancaires s’ils veulent faire un emprunt, mais dans la plupart des cas, ils font appel à leur famille et à la communauté. Effectivement, tous les membres sont appelés à verser une certaine portion de leurs revenus à un fond collectif servant aux gens en ayant besoin. [5] De plus, il existe des programmes de prêts à bas intérêts administrés par certains membres de la communauté auxquels les gens voulant se partir en affaire ont accès. [6]

      Croyez-vous que le futur semble positif pour les Amish dans l’optique où il apparaitrait que plus de la moitié des membres ont un emploi à l’extérieur de la communauté, dans des entreprises non-Amish? [7] En sachant qu’elles ont évolué durant les dernières décennies, pensez-vous que leurs manières de faire subsisteront dans les décennies à venir?

      Marina Mognon-Loyer



      Références :

      [1]Ethnicity, par Global Anabaptist Mennonite encyclopedia online, disponible en ligne à http://gameo.org/index.php?title=Ethnicity (Dernière consultation le 5 avril 2014)
      [2]What’s the difference between Amish and Mennonite?, par Amish America, disponible en ligne à http://amishamerica.com/whats-the-difference-between-amish-and-mennonites/ (Dernière consultation le 5 avril 2014)
      [3]The ‘’Green Hell’’ Becomes Home : Mennonites in Paraguay as Descri http://www.goshen.edu/mqr/pastissues/oct02reimer.html
      [4]How the Amish work, par Stephen Wise, disponible en ligne à http://people.howstuffworks.com/amish2.htm (Dernière consultation le 5 avril 2014)
      [5]Voir Supra Note 4
      [6]13 Money Secrets From the Amish, par Megan Durisin, disponible en ligne à http://www.businessinsider.com/money-secrets-of-the-amish-2013-4?op=1 (Dernière consultation le 5 avril 2014)
      [7]Is there a future for the Amish?, par Amish Reader.com, disponible en ligne à http://www.amishreader.com/2012/03/04/is-there-a-future-for-the-amish/ (Dernière consultation le 5 avril 2014)







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      1. Laurance Gauthier16 avril 2014 à 16 h 46

        Merci beaucoup pour ce commentaire très pertinent portant sur des éléments qui n’avaient pas été mentionnés dans notre billet. Il est effectivement important d’apporter, comme vous l’avez fait, la nuance entre les Amish et les Mennonites. Les Mennonites ont beaucoup moins de restrictions quant à l’utilisation de la technologie et des objets plus « modernes ». À ce sujet, je reprends une phrase, certes un peu simpliste, mais que j’ai bien aimé provenant du magazine Vice France, « les Mennonites sont des genres d'Amish, à la différence qu'ils ne considèrent pas les voitures, les trampolines et les cornets de crème glacée comme des instruments du diable [1]». Une photographe de ce magazine a d’ailleurs publié sur le site web de Vice France un magnifique reportage photo portant sur des femmes d’une communauté mennonite de Durango au Colorado, dont je vous transmets le lien :

        http://www.vice.com/fr/read/entrevista-eunice-adorno-fotos-menonitas-mujeres-flores

        Je trouve également très intéressant de constater que les membres des communautés amish se supportent mutuellement financièrement, en laissant à leur disposition un fond collectif qui leur permettent d’avoir accès à du capital sans avoir à emprunter auprès d’une banque. Cela témoigne de la grande confiance qui sied au sein des communautés et de l’esprit de coopération qui en émane. On en revient aux facteurs clés du succès des Amish et Mennonites en affaires; la durabilité de leur système passe aussi par la confiance mutuelle et l’entraide. Une des sources que vous avez utilisées pour votre commentaire nous apprend également que les Amish sont de grands épargnants. En effet, Lorilee Cracker, auteure du livre Money Secrets of the Amish, avance que les Amish américains épargneraient en moyenne 20% du total de leur revenu annuel, alors que la moyenne des Américains est de 6% [2]. Ils évitent d’accumuler les dettes en utilisant le crédit que très rarement, et s’ils l’utilisent, en s’assurant de rembourser le plus rapidement possible. Pourtant, comme vous le mentionniez, ils participent à l’économie de l’État. Leur rapport à l’argent est toutefois bien différent de celui de la grande majorité des entrepreneurs traditionnels.

        Il est fascinant de constater que, bien que leur système basé sur la durabilité aille à l’encontre du principe de croissance économique à tout prix, les Amish réussissent à survivre, et même à prospérer. Je crois donc que, oui, leur modèle est destiné à rester durable et à survivre, dans la mesure où leur rapport à l’argent reste le même. Cependant, il peut effectivement être difficile de continuer à suivre un modèle aussi différent, sans subir les pressions de l’extérieur. Je ne pense toutefois pas qu’il s’agit d’une menace d’ «extinction » du modèle amish. Je crois qu’il faudrait davantage se questionner sur la durabilité et la survivance de notre propre système économique, basé sur la recherche à outrance de profit à court terme. J’ai l’impression que notre modèle ne survivra pas très longtemps, et que l’on bénéficierait à s’inspirer de la « décroissance ».


        [1]Adorno, Eunice. 2012. « Les Mennonites sont comme des Amish, en plus marrants », disponible à l’adresse suivante : http://www.vice.com/fr/read/entrevista-eunice-adorno-fotos-menonitas-mujeres-flores (Dernière consultation le 16 avril 2014)
        [2] Durisin, Megan. 2013. « 13 Money Secrets From the Amish », disponible à l’adresse suivante :
        http://www.businessinsider.com/money-secrets-of-the-amish-2013-4?op=1 (Dernière consultation le 16 avril 2014)

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    2. N.B. J'ai supprimé mon premier commentaire puisque les références n'apparaissaient pas en lien actif mais je m'aperçois que c'est aussi le cas avec la seconde publication.

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