La c ontroverse
Enjeu
Le débat légal est l'occasion de confronter le droit à la santé des employés et le droit à la liberté de religion. Les deux positions sont diamétralement opposéesDans le Washington post, Cheryl B. Anderson, enseignant en théologie mentionnait:
"[...]Rien ne suggère que les scrupules d’un employeur vaillent davantage que la santé d’une employée." Dans le même journal, le pasteur Rick Warren soutient pleinement Hobby Lobby au motif «qu’une religion qui ne peut être pratiquée que dans un sanctuaire, et non dans la vie de tous les jours d’une entreprise, est une foi sans valeur»."[3]
Comme le dit M. David Masci, chercheur au Pew Research Center, l’enjeu auquel la Cour suprême fait face est important :
« […] une décision favorable à Hobby Lobby et Conestoga donnerait aux entreprises à but lucratif une solide base juridique pour s’opposer, au nom de la religion, à employer des gays et lesbiennes ou à accorder les mêmes avantages à des couples d’employés de même sexe. » (voir note [3])
(Au sujet des enjeux liés à la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, voir [4])
Les entreprises chrétiennes aux États-Unis
Photo 2 La chaîne de magasins Hobby Lobby
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Impacts de l'identité chrétienne
Fondées en majorité par des protestants évangéliques qui prônent des principes sociaux et politiques conservateurs, les impacts de ces origines religieuses se manifestent de façons variées sur les pratiques d’affaires.
Ensuite, à un niveau plus subtil, Philip J. Clement, le fondateur du Center for Christian business ethics today[6], soutient que la confiance enseignée par Jésus est un prérequis pour créer un monde des affaires basés sur l’efficacité. En effet, selon lui, les principes religieux servent d’abord et principalement à guider les opérations de l’entreprise.
Par exemple, Steve Green, président de Hobby Lobby, souligne que l’identité chrétienne de la compagnie influence la manière dont elle négocie avec ses fournisseurs. Elle a aussi décidé d’offrir un salaire minimum deux fois plus élevés que celui imposé par la loi, soit 14$/heure, ainsi que de fermer les magasins à 20h maximum tous les soirs afin de donner une qualité de vie à ses employés.[7]
D’autres soutiennent que l’identité chrétienne a une portée beaucoup plus large. Les Chrétiens devraient se demander quels effets ont les affaires sur les gens, plus particulièrement sur les employés. Est-ce que les employés peuvent atteindre leur accomplissement personnel à travers l’emploi qu’ils occupent ? Sont-ils confinés à des tâches répétitives, peu valorisantes ou plutôt à un travail significatif pour eux ? Ce sont les actions, et non les attraits visibles de la marque qui identifient les entreprises chrétiennes. [8]
Différence avec le Québec
Au Québec, la Cour suprême du Canada s’est déjà prononcée sur l’inconstitutionnalité de la Loi sur le dimanche qui interdisait aux entreprises de continuer leurs activités commerciales le dimanche. Dans l’affaire Big M Drug Mart Ltd.[9] rendue en avril 1985, celle-ci avait été accusée de s’être livrée à la vente de marchandise en contravention à cette loi. La Cour s’est prononcée :
"Le pouvoir d'imposer, pour des motifs religieux, l'observance universelle du jour de repos préféré par une religion ne concorde guère avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens, reconnu à l'art. 27 de la Charte."[9]
La liberté de religion consacrée par la Charte canadienne des droits et libertés exigeait que la loi n’impose pas de mesure religieuse à qui que ce soit. Aux États-Unis, la situation est inversée. Seule la décision de la Cour suprême américaine révèlera, semble-t-il, si les entreprises peuvent profiter du droit à la liberté de religion pour justifier leur choix de faire de la discrimination quant aux mesures qu’elles mettent en place pour respecter la loi sur les soins de santé.
Bonjour,
RépondreEffacerje considère le sujet très intéressant. En effet, ce genre de situations est plutôt rare désormais au Québec, mais elles prennent beaucoup d'importance chez nos voisins du sud. En fait, avec la mise en place de l'Obamacare, la loi prévoit que la plupart des employeurs doivent offrir une assurance maladie couvrant les frais reliée à la contraception pour les employés de sexe féminin. Or, les organisations ayant pour but premier de promouvoir des idées religieuses ont toujours été exclues de cette obligation.[1] Désormais, les organisations à but lucratif affiliées à une religion déplorent le fait de ne pas avoir accès à cette même exemption. [2]De ce fait, je crois qu'il est légitime pour une entreprise d'être affiliée à une religion; étant privée, elle en a le droit et je crois que personne ne pourrait affirmer le contraire. Toutefois, au niveau des individus qu'elle emploie, il est important de faire une distinction. En effet, il serait plutôt étonnant que Hobby Lobby, Chick-fil-A ou encore Forever 21 n'emploie que des personnes ferventes de la même religion qu'eux. Considérant toute la diversité culturelle qu'on retrouve aux États-Unis, il serait difficile de se limiter qu’aux personnes chrétiennes pratiquantes dans ce cas-ci. De plus, ne pas engager quelqu'un puisqu'il ne partage pas les mêmes idéaux religieux que la compagnie serait de la discrimination. Ainsi, on s'entend pour dire que les salariés de ces entreprises ne partageront probablement pas tous les valeurs chrétiennes. Néanmoins, de leur côté, les dirigeants de ces entreprises (Hobby Lobby et Conestoga) affirment qu'ils sont des chrétiens dévoués et qu'ils s'opposent ainsi à toute sorte de contraception d'urgence possible. De plus, ils se fondent sur le Religious Freedom Restoration Act de 1993 qui mentionne qu'un individu peut être exempté d'une loi si celle-ci pose des restrictions à la pratique de sa religion. Bien sûr, ce document n'avait plus d'importance du moment que la situation mettait en jeux un intérêt d'État irréfutable. De ce fait, étant donné que cette loi ne fait aucune distinction entre les ONG et les organisations à but lucratif, Hobby Lobby tente de la faire appliquer à sa situation.[2]
À ce moment, comment une entreprise peut-elle décider de pénaliser ses employés avec un élément aussi fondamental que la couverture d'assurance pour la contraception. Ainsi, comme l'a dit M. David Masci, chercheur au Pew Research Center, si la Cour suprême rend une décision favorable à ces entreprises, elle ouvrira la porte à toutes sortes d'autres demandes. Ces entreprises auraient même un précédent juridique valable si jamais elles décident de ne plus vouloir engager de personnes homosexuelles ou d'une autre religion. En somme, je considère que tant que le but premier de l'organisation n'est pas en lien avec la promotion d'idéaux religieux, celle-ci devrait être contrainte d'offrir une couverture d'assurance incluant la contraception pour ses employés de sexe féminin.
merci
Genevieve Morin
[1] After Hobby Lobby, a nonprofit legal challenge to the contraception requirement, par Pew research, disponible en ligne à l'adresse suivante : http://www.pewresearch.org/fact-tank/2014/03/25/after-hobby-lobby-a-nonprofit-legal-challenge-to-the-contraception-requirement/ dernière consultation le 10 avril 2015
[2] Health Care Law’s ‘Contraception Mandate’ Reaches the Supreme Court, par Pew research, disponible en ligne à l'adresse suivante: http://www.pewforum.org/2014/03/20/health-care-laws-contraception-mandate-reaches-the-supreme-court/ dernière consultation le 10 avril 2014
Je suis bien d'accord avec toi qu'une organisation dont la vocation n'est pas religieuse devrait être contrainte de respecter les lois peu importe les valeurs qu’elle prône.
RépondreEffacerHeureusement dans le cas présent, l’organisation nommée « National Women’s Law Center » (NWLC) s’occupe de défendre les droits des femmes et leur égalité face à la loi. La mission que s’est donnée le NWLC est la suivante :
Requiring no-cost contraceptive coverage also promotes gender equality, addressing gender gaps in the provision of health care and improving women’s social and economic outcomes more generally. [1]
Pour un bon résumé détaillé des enjeux de ces poursuites judiciaires, décrites brièvement dans le premier billet, il est intéressant de se référer au site Internet de l’organisme. [2]
Comme soulevé dans ton commentaire, une décision favorable aux employeurs ouvrirait une boîte de Pandore qui risque de prendre une ampleur démesurée. Cela soulève une question d’équilibre entre la liberté de l’entreprise de choisir les valeurs qui composeront sa culture organisationnelle et la liberté individuelle de ses employés. Où doit se trouver la limite ?
Par exemple, il est pratique courante lors du processus d’embauche, que l’employeur utilise des questions qui lui permettent de déterminer les valeurs de la personne en entrevue. On peut penser à la ponctualité, la performance, la famille, la qualité de vie, etc. Sans mentionner la raison du refus d’embauche, il est habituellement normal que l’employeur refuse d’embaucher quelqu’un qui ne dégage pas les valeurs prônées par l’entreprise : par exemple, si elle ne supporte pas de travailler les fins de semaine et de faire passer le travail avant la famille si l’emploi demande une telle implication. Toutefois, est-il possible de refuser de donner des droits consacrés par la loi au nom des valeurs prônées ? La discrimination n’est pas permise à l’embauche et je crois qu’elle ne devrait jamais l’être une fois l’employé engagé non plus.
[suite du commentaire du 25 avril 2014 19:12]
RépondreEffacerCela étant dit, au-delà de la notion de protection de la liberté individuelle, un des enjeux de cette situation concerne directement l’organisation qui choisit de contraindre ses employés à adhérer à des valeurs organisationnelles qui vont à l’encontre de leurs valeurs individuelles. Comme le souligne madame Bédard, présidente de CIB développement organisationnel :
Les dérapages [au sein des organisations] se produisent lorsqu’il y a distorsion entre les valeurs de l’individu et les valeurs collectives.
[…] il y a un risque élevé que l’individu en vienne à déroger au code d’éthique de l’organisation. [3]
« Le gestionnaire ne doit pas oublier que la conduite d’un individu dans son milieu de travail est d’abord conditionnée par ses valeurs personnelles et son propre cadre de références », dit-elle. Selon cette position, l’entreprise risque d’être aux prises avec des enjeux éthiques des employés qui ne se sentent pas respectés. La solution à un tel conflit est de s’assurer d’embaucher des gens qui adhèrent aux valeurs de la société. Toutefois, dans les cas présent, on revient au point de départ : peut-on discriminer les gens à l’embauche en se fondant sur le fait qu’ils sont en faveur de la contraception ? Le premier amendement de la constitution américaine garantit la liberté de religion et qu’aucune loi ne peut contraindre à adopter une religion en particulier. [4]
Cette garantie ne précise pas si cette liberté s’adresse aux individus, aux entreprises ou aux deux. Il sera intéressant de vérifier dans quelques mois si la Cour suprême protégera le droit des employés à prôner des valeurs personnelles ou si elle se prononcera en faveur de la liberté de religion des entreprises.
Références:
[1] « NWLC Amicus Briefs Supporting the Contraceptive Coverage Benefit », National Women’s Law Center, disponible en ligne à l’adresse suivante: http://www.nwlc.org/resource/nwlc-amicus-briefs-supporting-contraceptive-coverage-benefit (dernière consultation le 25 avril 2014).
[2] « What You Should Know About the Birth Control Coverage Benefit and How Bosses Are Going to Court to Take it Away », National Women’s Law Center, disponible en ligne à l’adresse suivante : http://www.nwlc.org/resource/what-you-should-know-about-birth-control-coverage-benefit-and-how-bosses-are-going-court-ta (dernière consultation le 25 avril 2014).
[3] « Éthique, valeurs individuelles et culture organisationnelle », disponible en ligne à l’adresse suivante : https://www.adma.qc.ca/Publications/INFO_ADMA/Info%20Adm,-d-,A,-d-,_Mars%202012/Isabelle%20Bedard.aspx (dernière consultation le 25 avril 2014).
[4] « US Constitution- Amendment 1 », U.S. Constitution, disponible en ligne à l’adresse suivante : http://www.usconstitution.net/xconst_Am1.html (dernière consultation le 25 avril 2014).